vendredi 11 novembre 2016

COHEN: À PROPOS DE L'ÉLOGE AUX MORTS




(Statut publié sur Facebook, et qui a entrainé un grand nombre de réactions — j’imagine que ce n’est pas fini. Je publie ici, avec son accord, la réplique de Sonia Di Capo, commentaire qui a été très applaudi.)

Je suis toujours mal à l’aise relativement au déferlement d’éloges qu’on adresse à une célébrité qui meurt.

Je sais bien que ce sont les survivants qui se consolent, et qui font l’éloge, en fait, de ce qu’ils ont aimé.

Mais le fait est que Cohen est mort. Qu’il n’existe plus. Et que c’est désormais tout comme s’il n’avait jamais existé. Je parle de sa conscience d’être, bien sûr, bizarre émergence de la matière qui s’observe, un temps… Quand on n’est plus, qu’on est néant, on est néant de toute éternité. C’est la vie qui est un mystère, pas la mort. Bref, les éloges ne lui servent à rien. Cohen ne les entend évidemment pas. On ne les adresse qu’à un souvenir, une trace, un météore aussi brillant fût-il, mais qui s’est pulvérisé. Cohen est devenu un concept. C’est la raison pour laquelle j’ai toujours eu beaucoup de difficulté à faire l’éloge de qui que ce soit qui a disparu. Parce que la mort n’est pas que présente, elle est aussi passée. La disparition, c’est, au sens exact, le rien, dont le sens de ce mot n’est toujours qu’imparfait quant à ce qu’il peut signifier…

Triste mort, triste décès.

Sonia Di Capo — On fait les éloges souvent pour nous-mêmes, pour nous consoler de ceux qui partent. Pour s’approprier en nous d’une partie de ce qui se volatilise, pour la laisser vivre en nous. Et en la communiquant, on se sent moins seul dans ce désir que quelque chose reste vivant, qu’il demeure l’héritage d’un souvenir partagé.

Nous aimerions que les morts nous entendent. Et nous ne savons pas vraiment ce qu’il advient. On peut avoir cette impression qu’il y a le rien après la vie, mais la réalité est que la mort est irreprésentable. Nous ne savons pas. Il n’y a aucune certitude de rien. Vivre en équilibre avec l’incertitude demande beaucoup de force. C’est pour ça qu’on décide de croire, soit qu’il n’y a rien, soit qu’il y a quelque chose. D’un côté comme de l’autre, on cherche à se rassurer. Mais nous ne savons pas. On a cette impression que la conscience ne peut vivre sans cerveau. Ça semble logique. Mais nous ne pouvons affirmer hors de tout doute qu’il ne reste rien d’une vie après le dernier souffle.






mercredi 9 novembre 2016

RÉINVENTER LA DÉMOCRATIE





Il y a, au Vermont, un mouvement séparatiste qui ne souhaite réussir (en fantasme) que pour faire imploser les États-Unis. On souhaiterait, aujourd’hui, que la Virginie, le New York, la Californie et l’Oregon se joignent au mouvement. Une bonne partie de la planète espère, du reste, cette implosion. Elle en a assez bavé de la superpuissance en déclin, et de ses nabots, ravageurs, assassins, distribués ici et là à la grandeur du monde. 

Coup de chance, voilà que les États-Unis se donnent un président qui a réussi à faire croire à ses compatriotes que c’étaient eux, les victimes essentielles de la voracité mondiale et de l’immigration affamée, avec la complicité des establishments nationaux. Oubliée, la politique militariste et agressive destinée à sauver l’empire ! Les États-Unis veulent se replier sur eux-mêmes ? — ce qui n’est pas totalement nouveau… Profitons-en ! Je me prends à souhaiter, ardemment, que cette élection de Donald Trump amène la communauté internationale à tourner le dos à ce pays-sangsue; qu’on ignore, désormais, puisque c’est là le désir du président désigné, tout ce qui vient de Washington en forme de diktat. Profitons-en pour que l’humanité puisse se réinventer librement, avec l’appui enthousiaste des progressistes américains, puisqu’il y en a certes encore éparpillés, sans doute un peu sonnés, mais toujours bien vivants. Profitons-en pour réinventer la démocratie, trop souvent conservatrice depuis un siècle et demi, et pour lui redonner la fonction sociale qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’avoir, celle d’être au service de la multitude, sans dieux, ni quelque autre opium du peuple qui terrifie et aliène l’homme pourtant né bon. C’est bien le sens de ce que veut dire la res publica, la chose du plus grand nombre, la chose publique. Il faut réapprendre à lier étroitement les luttes nationales et la « lutte des classes » au processus électoral, à rendre indissociables les idéaux d’égalité et de liberté. 

En attendant qu’on révolutionne, chez nous et ailleurs, partout, le sens même de ce que devrait être la démocratie, j’espère qu’un bon nombre d’Américains feront de cette présidence un véritable cauchemar qui accélèrera ce qui est déjà commencé, l’irréversible déclin de cette bulle d’agioteurs que sont devenus les États-Unis d’Amérique, réalité que leur nouveau président incarne parfaitement.