lundi 23 septembre 2013

LA LAÏCITÉ SUR LE BOUT DES PIEDS

Nietzsche. À propos.



Il y avait de quoi s’impatienter, s’exaspérer même, de la prestation du ministre des Institutions démocratiques et de la Participation citoyenne, M. Bernard Drainville, à la télé de Radio-Canada ce soir. Le ministre hésitait, fléchissait, cherchait ses mots pour présenter, et expliquer surtout, clairement, le projet de charte de la laïcité du gouvernement du Québec. Ça se passait sur le plateau de l’émission à vaste auditoire, Tout le monde en parle

Après une défense aussi frileuse, et presque apeurée des intentions du gouvernement quant à la nature même de l’État et de la chose publique, tout le monde pourra-t-il en parler, de cette charte, autrement que pour se demander ce qu’il en retourne vraiment de ce truc confus, contradictoire et mal assuré, qu’un ministre, celui-là même de la participation citoyenne, est incapable de motiver ? Alors qu’il s’agit de philosophie politique, que c’est exceptionnel qu’une société participe à un débat d’un tel niveau, et que cette charte peut être expliquée, à la condition, bien sûr, d’y mettre les mots, exacts et vrais, qui en signifient toute l’intention.

Mais M. Drainville joue la prudence, cherche le consensus à tout prix, au plus faible risque possible. Pour un homme politique, ça peut se comprendre, quand une toute petite bavure peut se transformer en cataclysme politique, d’une parfaite amoralité d’ailleurs — ce qui serait assez plaisant pour ce coup-ci, les opposants à la charte bataillant, nouveaux martyrs de la foi, pour la liberté de religion affreusement menacée ! Mais la réserve de M. Drainville, c’est tout comme cette méthode embarrassée, complexée, et presque honteuse, de proposer, en 1980, en 1995, l’indépendance du Québec:  à force d’en être gêné, et de s’en excuser, l’acte osé devient coupable, et l’impuissance bien réelle: on ne réussit qu’à rien réussir, et on se crève les yeux.

C’est enthousiasmant, M. Drainville, votre projet d’État neutre et laïque, et votre souhait de modifier la Charte des droits et libertés de telle sorte que la neutralité de l’État serve de règle d’interprétation aux droits des personnes. C’est enthousiasmant, et bien expliqué, c’est même rassurant. Votre proposition de charte de la laïcité, c’est une cassure avec le cérémonial de l’ancien temps, une promesse de justice, et à sa manière, une libération. Ce que le gouvernement du Québec s’apprête à proposer aux citoyens, c’est d’évidence un geste fondateur, loin, très loin d’être le repli ethnique dont l’accusent ses détracteurs. Il s’agit, bien au contraire, d’ancrer, pour de bon, l’indépendance du Québec dans la modernité, ouverte à toutes les audaces et à toutes les tolérances. Foncez, monsieur le ministre ! Dites ce qu’il en est ! On a échoué à faire l’indépendance à petits pas, bercée de paroles rassurantes, réalisée sans que personne s’en aperçoive. Faut-il maintenant faire la laïcité sans que personne s’en aperçoive ? Tout le monde a compris le sens de la question référendaire, même celle, trop longue, disait-on, de 1980. (Monsieur Jean Chrétien a bien été le seul à ne pas la comprendre.) Et quoi qu’il en soit des artifices délicats pour tranquilliser les inquiets, y compris le crucifix qui s’accroche envers et contre toute logique, tout le monde comprend l’intention réelle de la charte, la laïcité complète, la neutralité intégrale de l’État. Bien sûr que la charte aura une opposition: on ne négocie pas avec Dieu ni avec ses croyants. Ceux-là ne se rallieront jamais, monsieur le ministre. Alors, foncez. Dans dix ans, on peut le parier, les néophytes de Dieu (surtout eux, d’ailleurs) se seront convertis.






samedi 21 septembre 2013

LA NOUVELLE MÉTHODE: L'EXPLOITATION PAR LA CONSOMMATION


Source de l'image: http://en-avant-marche.blogspot.ca/2013_01_01_archive.html



Marx avait, au 19e siècle, pris conscience de la formation, dans les pays développés, d’une aristocratie de prolétaires. Ces travailleurs, de par leurs conditions de travail, et surtout le salaire qu’ils empochaient, se sentaient de moins en moins solidaires du sort fait au lumpenprolétariat, mais  se voyaient plutôt concernés, directement, par la bonne vieille machine à extraire le capital dont ils profitaient, par la bande.

Le prolétariat ultra-pauvre, il se trouve maintenant, et de plus en plus, à l’étranger. S’il est ici, il est victime de la précarité de l’emploi, parfaitement immorale, et d’autant plus terrible à supporter que le travailleur, constamment menacé par le chômage, subit le chantage au salaire raisonnable, le « seul que l’entreprise peut payer », toujours à la baisse. Tu veux un job ? Accepte un salaire réduit. C’est odieux. C’est généralisé. 

À côté de ces travailleurs temporaires, précaires, menacés, il y a maintenant une nouvelle aristocratie de prolétaires, essentiellement des travailleurs consommateurs lucides, qui ont appris à consolider leur situation économique, et leur inféodation à une société radicalement inégalitaire, en achetant au rabais, sans scrupule ni remords. J’essaie d’éviter les Walmart de ce monde. Je n’y arrive pas toujours. Quel salaire a-t-on versé pour rendre possible l’aubaine dont je profite ? À quel travailleur ? De quel sexe, de quel âge ? La précarité de l’emploi, les salaires à la baisse, le mépris affiché pour des conditions de travail décentes, le dédain, même, pour la simple reconnaissance de ce que l’entreprise doit à ses travailleurs, m’ont toujours profondément scandalisé. J’ai, près de moi, des personnes qui subissent ce genre de conditions de travail. Ça m’interpelle parce que je vois ce que ça fait, au quotidien.






jeudi 12 septembre 2013

NOUS MANQUE ENCORE NOTRE FRIGIDE BARJOT


Source de l'image: http://www.citizenside.com/en/photos/politics/2012-12-16/72432/ukrainian-born-activist-movement-femen-takes-part-in-rally-for-gay-marriage.html#f=0/629219



De ce que j’entends et je lis, à gauche et à droite, le débat québécois sur la Charte de la laïcité me fait penser, beaucoup, au débat sur le «mariage pour tous», en France. Énormément de calcul politique, prédiction cynique de cataclysme imminent, de catastrophe sociale irréparable... 

Et tout ça me ramène à mes convictions fondamentales: je suis favorable au «mariage pour tous», à l’encontre de ce qu’ont prôné toutes les religions, sans aucune exception, à ce que je sache, et je suis aussi favorable à un État qui se convertit à une neutralité complète, dans toutes ses lois, dans toutes ses composantes, et dans tous les services qu’il offre aux citoyens, quels qu’ils soient. 

Ce n’est pas vrai que les religions sont inoffensives. Toutes, elles sont combattantes, toutes, parce qu’elles croient. Les religions sont essentiellement autoritaires. Les religions sont essentiellement dangereuses.

Il s’en trouve, au Québec, pour devoir, encore maintenant, prêter serment à la Reine. C’est le cas des fonctionnaires fédéraux, des «élus du peuple», des nouveaux arrivants. On peut, il me semble, sans déchoir, s’engager, sans profession de foi solennelle, à reconnaître la neutralité de l’État, quand on a le privilège de travailler pour lui, et d’assurer la qualité de ce que doit être la res publica, la chose publique, commune à tous, sans distinction ni discrimination autres que celles fondées sur la valeur de chacun, mais jamais sur ses croyances.








dimanche 8 septembre 2013

ET POURTANT ELLE TOURNE: une réponse aux «cent intellectuels contre l'exclusion»




Cent intellectuels, journalistes, écrivains, économistes, professeurs, (même de cégep !), ont publié une lettre ouverte annonçant et dénonçant, tout en même temps, la perfidie du projet gouvernemental de charte dite des «valeurs» — en fait, pour ce qu’on en sait, un projet de loi garantissant la neutralité religieuse de l’État, de ses lois et de ses services, espaçant une administration publique sans religion d’un citoyen, qui lui, peut bien croire à ce qu’il veut, dans les lieux qu’il choisit, librement.

Cent intellectuels qui dénoncent, ça impressionne, et c’est le but recherché, bien sûr, une « impression ». En fait, le texte des Cent, c’est l’expression même d’une neutralité planifiée.

Je ne suis pas un intellectuel. Je ne suis qu’un simple (et ancien) professeur d’histoire – de cégep, c’est dire à quel point je suis anémique, côté doctrine ! Je ne suis pas connu, je n’ai pas de plan de carrière, je n’appartiens à aucun réseau ; je n’ai pas d’intention politique partisane en écrivant ce texte. Je ne suis qu’un citoyen, unique et solitaire, que le système supplie pourtant de voter, ce qui implique que j’aie une pensée qui se tienne, et que j’aie en horreur qu’on tente de me manipuler la cervelle. (C’est paradoxalement une des raisons pour lesquelles je ne vote plus, mais c’est là une autre histoire.)

Disons l’évidence tout de suite : cette « charte », étant donné l’Assemblée nationale du Québec telle qu’elle est composée en ce moment, n’a aucune espèce de possibilité d’être adoptée. Et je doute fort que le gouvernement engage sa responsabilité ministérielle sur ce projet de loi, et qu’il risque des élections là-dessus. C’est donc de principes et de convictions dont on discute. Et il y a, dans la lettre ouverte des Cent, des éléments de croyance avec lesquels je suis d’accord, sans «croire». Commençons donc par les compliments.

Bien évidemment que je les rejoins quand les Cent reprochent l’obstination que le gouvernement du Québec met à figer, pour l’éternité, le crucifix, le plus important des objets du culte chrétien, au-dessus du «trône» du Président de l’Assemblée nationale, en considération du patrimoine national à préserver. Cet entêtement est d’autant plus ridicule que c’est Duplessis qui l’y a placé là, et que plus personne n’y croit, tel quel, à ce sacrifice divin, pas plus qu’il nous viendrait à l’idée de croire aux charmantes procédures de meurtres sacrificiels qu’on a pratiqués, de-ci de-là, ailleurs sur cette planète. Comment penser que la première ministre Marois, la même qui veut l’indépendance, qui sait la forte turbulence que cette révolution provoquera si elle advient, mais qui la veut quand même et qui en assume le risque calculé, comment penser que la même Mme Marois puisse redouter les sursauts de l’opinion, et reculer devant la turbulence passagère (appréhendée) que provoquerait le décrochage d'un crucifix dans l’espace politique ? Qui donc s’est soucié, sérieusement, il y a 50 ans, du leader créditiste Camil Samson qui déplorait qu’on sorte le crucifix des écoles ? Si, avec raison, on ne s’illusionne jamais du silence apparent d’un signe, on ferait erreur de considérer le crucifix que pour un simple objet, sans autre signification qu’une nostalgie culturelle. Il faudrait que cette charte, qu’écrit le gouvernement, soit l’Édit de Nantes, et non sa révocation.

Ailleurs dans leur lettre, les Cent disent croire au « principe de neutralité religieuse [qui vient] protéger la liberté de conscience et de pensée ». On salue, ici, une sélection de mots prudemment choisis, et d’ailleurs parfaitement justes. Mais la modernité fait depuis au moins trois siècles la différence essentielle et radicale entre la liberté de pensée et de conscience, et la complaisance pour les « superstitions ». C’est ce qui a permis à la pensée scientifique de prendre son envol. C’est ce qui a permis aux institutions politiques d’évoluer, jusqu’à renverser la monarchie de droit divin, et à inventer une loi qui soit autre chose qu’une révélation. C’est ce qui a donné une crédibilité au « droit naturel », à ces « vérités qui sont [si] évidentes par elles-mêmes » qu’on ne s’éternise pas à les expliquer. Ce n’est pas rien, comme acquis. Et ce n’est surtout pas, surtout pas religieux.

Moi, l’humble citoyen que je suis, avant que d’expliquer en quoi je me sépare de la lettre ouverte des Cent, j’affirme croire à l’audace des petits espaces de liberté dans le monde, comme la France l’a été, un temps, au temps de la Révolution. Et je crois que les petites nations peuvent être le cadre d’expériences de neutralité étatique, légale et juridique bien réelles, qui marquent profondément de leur empreinte le « concert des nations », nations qui n’ont de cesse de s’écouter les unes les autres, quoi qu’il en semble, parfois.

Mais, venons-en au fond des choses, et à ce qui fait que si j’étais quelqu’un qui compte, je n’aurais pas signé cette lettre ouverte à tous.

À les lire attentivement, et à les en croire, les Cent se seraient opposés, autrefois, aux principes mêmes de la Révolution française, parce qu’ils y auraient vu de l’occidentalocentrisme, et qu’ils auraient regardé la déchristianisation comme une menace aux droits universels de l’homme quant à l'exercice des religions. En fait, tout leur raisonnement part de cette apriorité, s’appuie sur cette conviction de base, qu’il y a la possibilité de Dieu. Or s’il y a Dieu, il y a une vérité révélée, et fatalement, une Loi au-dessus de toutes les lois humaines. Ça ne peut pas être autrement. Accepter Dieu, c’est reconnaître sa « suprématie », comme le dit expressément la Constitution canadienne, en parfaite logique, d’ailleurs.  Les Cent célèbrent donc le fait même d’une société «pluri-religieuse», enrichies de « traditions » religieuses « venues d’ailleurs », qui cohabitent « dans le respect de la spiritualité et de la liberté de conscience de chacun » : tout est là, en effet, dans cette alliance surprenante (quand même), mais nouvelle et éternelle entre la faucille et le goupillon. Déjà, bon dieu, qu’on n’est même pas débarrassés, complètement, des trônes et des évêques, et de cette illusion criminelle qu’il y a une vie après la mort, avec une morale conditionnelle et effroyablement répressive pour y accéder, voilà que se profile l’alliance entre la prière et l’action révolutionnaire !

Et l’ennemi, quel est-il ? C’est cette « communion nationale défensive et hargneuse », ce « fantasme [laïc, neutre,] d’une définition non conflictuelle de la collectivité québécoise » qui se trouve pourtant « des proies faciles » avec ce « projet répressif et diviseur ». Diviseur ! On croirait lire Trudeau, le Trudeau du début des années 60, lorsqu’il était encore du NPD (et que le NPD était encore le NPD.)  Et on note, bien sûr, la contradiction, immatérielle, entre la négation consternante des conflits, mais l’avivement tout aussi pénible de conflits, tout cela du fait d’un seul et même gouvernement, dissimulateur, qui se lève tôt le matin pour y arriver. Au demeurant, de quels « conflits » parle-t-on au juste ? Et de quelle « négation » ? De la lutte des classes ? Elle a toujours été, elle sera toujours, elle est depuis longtemps noble et souvent admirable, et ce n’est pas une loi sur la laïcité qui va la nier. Mais en quoi, je me le demande, en quoi la promotion insidieuse de la croyance en Dieu, en quoi ce fantasme spirituel auquel souscrivent les Cent, est-il préférable pour assurer à la fois la paix sociale et la juste révolution des opprimés ? Quelle religion, au Québec, fait-elle sienne, en ce moment même, des principes de la théologie de la libération ?

Quand les Cent écrivent, sans sourciller, que « le PQ [pour le gouvernement] se donne des airs de souveraineté en se trouvant des proies faciles », il profère une accusation grave, démagogique, et dangereuse, parce que les signataires savent parfaitement bien que c’est faux, et qu’aux extrêmes, il peut s’en trouver pour conférer une valeur mystique à l’argument. La lettre ouverte des Cent nourrit un incroyable (incroyable, c’est le mot!) fantasme inspiré, qui promeut la justice révolutionnaire par le biais d’un dieu et de ses disciples. Jamais je n’ai eu sous les yeux un texte qui prend aussi rigoureusement au pied de la lettre le remplacement purement cosmétique du marxisme par la religion, quelle qu’elle soit. C’est du délire. C’est de l’intimidation. C’est du mensonge éhonté.

Quelles preuves les Cent détiennent-ils quand ils écrivent, indifférents à l’énormité de l’imputation, que « l’exclusion des signes évocateurs des croyances est la porte ouverte à l’exclusion des êtres eux-mêmes » ? Et si, tout au contraire, et parce que dieu n’existe pas, c’était l’exclusion de signes et de symboles qui ne signifient rien, qui ne représentent rien, qui facilitait l’inclusion, l’égalité, la justice, le juste partage et l’affection ? Et si c’était l’exclusion de signes et de symboles dangereux parce que porteurs de morales d’autant plus répressives qu’on les croit dictées par dieu, qui pouvait, enfin, apaiser la haine contre les femmes, les gays, les incroyants, les anarchistes, les libertaires, les scientifiques ? Elle tourne, la terre, vous savez, et pourtant elle tourne ! De sorte que c’est d’un charlatanisme incroyable, quand la lettre ouverte des Cent s’achève sur ces mots, à faire pleurer de bêtise: « Les femmes, qui sont déjà plus souvent qu’autrement [sic] défavorisées par les rapports de pouvoir et de production dans lesquelles elles s’insèrent, seront d’ailleurs les principales victimes de ces mesures législatives. » Ça n’existe plus, « les femmes », pas plus que dieu n’existe ; il y a maintenant des femmes de pouvoir ; elles n’ont rien révolutionné du tout ; elles participent à la reproduction des classes sociales, comme les hommes, elles s’enrichissent, elles bouffent de ce qu’elles prennent aux autres, et elles savent utiliser une matraque. Il y a des femmes, c’est vrai, peu scolarisées, et refoulées, toujours et encore, vers des emplois traditionnellement réservés aux femmes. Qu’est-ce qui prouve, mais qu’est-ce donc qui prouve, hors de tout doute, que la disparition de signes religieux des lieux de l’administration publique va chasser certaines femmes de minorités religieuses d’emplois traditionnellement réservées aux femmes ? Croire cela, c’est croire en un argument démagogique, particulièrement fallacieux.

Les Cent redoutent que «cette laïcité [d’État] consiste (…) à forcer un processus de sécularisation», que « cette réactivation programmée des passions tristes et mesquines [ne soit] pas à la hauteur des valeurs largement partagées ici comme ailleurs » : un programme, bien sûr, un programme forcé, un complot, tiens, déjà qu’il a fallu du temps pour se défaire de l’autre complot, avec lequel certains leaders de notre gauche bien d’ici ont longtemps flirté ! Décidément, Malraux avait raison : le XXIe siècle allait être religieux, et croire aux forces occultes !


Cette lettre des Cent attise, excuse, et pardonne à priori, par ses préjugés, ses lieux communs, ses raccourcis idéologiques commodes, la haine des uns contre les autres, pour mieux lutter contre un nationalisme québécois depuis belle lurette associé au mal en soi, au repli sur soi, au racisme et à l’exclusion. En fait, cette lettre attise la haine des autres pour les «Québécois», ramenés qu’aux seuls francophones de souche, elle divise parce qu’elle isole des autres la population d’accueil, elle libère contre cette population une parole violente et méprisante, et se propose comme moderne, alors qu’elle refuse la modernité culturelle qui n’a plus de religion. Cette lettre refuse la modernité de ce que sont les Québécois, et leur ouverture aux autres, pour les maintenir dans le mépris qui, depuis 1760, n’a jamais manqué de relais.

En 1977, au moment où l’Assemblée nationale adoptait la Charte de la langue française, un député libéral s’exclamait, scandalisé, éperdu: « c’est la Conquête que vous niez avec cette loi ! » À lire la lettre des Cent, on croirait les entendre crier: « mais c’est la grandeur de dieu et de ses commandements que vous niez avec cette loi ! » 

PS (en guise de conclusion)
Ça n’existe pas, dieu, ça n’existe pas les commandements de dieu, ça n’existe pas les interdits de dieu, ça n’existe pas les froncements de regard de dieu, ça n’existe pas les exigences de dieu, ça n’existe pas les punitions de dieu, ça n’existe pas les prescriptions de dieu, ça n’existe pas, rien de ça, pour une raison bien simple, ça n’existe pas, dieu. Peut-être qu’on pourrait se rappeler cette vérité de base, de temps à autre, et contempler les photos fabuleuses, mais parfaitement athées, de Hubble, et s’étonner de cette photo extraordinaire de l’univers, 300,000 ans après le Big Bang... Non ? Peut-être qu’on pourrait lutter contre l’exclusion et le racisme par l’incroyance et l’athéisme, non ? Peut-être que l’humanisme athée a encore un sens, non ?

Quand on connaîtra la charte, il se peut que je m’y oppose (sans que ça n’aille aucune importance, d’ailleurs) si la neutralité est trop timide, trop hésitante, trop peureuse devant dieu. J’espère que le gouvernement ira jusqu’au bout, sans entendre les Tartuffes de gauche, qui, l’œil au ciel, en extase humanitaire, prônent le maintien de toutes les superstitions.

PS2
Je refuse, et je refuserai toujours d’être récupéré par la droite haineuse et sectaire. Mais j’admire, et j’admirerai toujours, les personnes qui, par foi, font le bon, le juste et le bien.

Note : La lettre ouverte des Cent se trouve ici : http://fr.scribd.com/doc/166137142/nos-valeurs-excluent-l-exclusion-05-09-pdf


PS3 (en date du 10 septembre 2013)

Je ne vais pas reprendre tout ce que j’ai développé comme argumentaire dans ce long article de blogue. 

Mais ce soir, alors que le projet de Charte des «valeurs» a été présenté aujourd’hui, le 10 septembre, par le gouvernement du Québec à l’ensemble de la population, j’ai envie d’écrire, pour m’en attrister, que, nous, les athées, n’avons guère de place dans ce projet de Charte, que j’aurais espéré très progressiste dans son refus, radical et essentiel, toutes religions confondues, du fait religieux lui-même et de son «ostentation».

La Charte, pour le simple citoyen que je suis, est trop modérée. Quand le ministre Drainville dit que l’héritage patrimonial ne se réduit quand même pas à une page blanche, et qu’il y a des éléments de catholicisme ultramontain (par exemple, le crucifix à l’Assemblée nationale), qui doivent être préservés, je me sépare de cette politique frileuse. Ce que j’aurais espéré, personnellement, c’est précisément une page blanche, c’est précisément une «tabula rasa», quelque chose comme une petite révolution de la modernité. C’en est presque une... mais c’est raté. Quand le philosophe Charles Taylor dit que, puisque les croyances religieuses, pour certains, sont redevenues bien réelles, on ne peut comparer le fait présent des signes religieux, porteurs de messages, au fait passé des religieuses catholiques qui se sont précisément débarrassées, en masse, de cesdits signes religieux, je me sépare radicalement de ce genre de propos déistes, qui me font redouter le pire.

Et voilà qu’on tombe dans un débat délirant et sans fin, avec des contresens essentiels, du genre « Moi je suis croyant, mais c’est sans importance », alors que ça ne peut être que fondamental, ou du genre « L’État doit être laïque, mais il faut que ça s’en tienne qu’à une déclaration de principes », alors que ce qui fait l’État, ce ne sont que les personnes qui l’incarnent.

L’hésitation, la confusion (les clauses dérogatoires pour cinq ans, par exemple, qui sont prévues dans la loi, pour un très grand nombre d’institutions publiques) ne font que laisser la porte ouverte à tous ceux qui voudront envahir l’espace public, et agiter parmi les pires des pires épouvantails. Ce soir, le Dr Laurin me manque.

Et pendant tout le temps que durera le débat, on va devoir digérer, à nouveau, comme en 1976, en 1977, en 1980, en 1995, un déluge torrentiel d’injures extrémistes, associées à l’âme, presque à la «race» canadienne-française elle-même. C’est déjà commencé: «PQ taps into dark part of Quebec psyche ». (Montreal Gazette.)

Y’a pas à dire, la Charte constitutionnelle de 1982, cadeau post-référendaire de M. Pierre-Eliott Trudeau, aura marqué au fer rouge, et bloqué pour longtemps cette société. 

PS4 (En date du 14 septembre 2013)


Des intellectuels, et autres penseurs ont enfin rédigé et signé un texte commun qui prend fait et cause pour la laïcité d’État. Je donne avec plaisir le lien ici, tout en signalant que je me sépare de ce texte qui considère l’athéisme comme un phénomène d’essence religieuse, alors que, pour moi, l’athéisme n’est que l’évidence (et le progrès) à l’ère moderne. Je me suis assez expliqué pour ne pas reprendre toute mon argumentation, encore une fois ! Voici le lien vers ce texte important:









jeudi 5 septembre 2013

LE SACRIFICE MILITANT DE SACCO ET VANZETTI




À la fin des délibérations, au procès de l'été 1921, qui allait le conduire, sept longues années plus tard, à la chaise électrique, Nicola Sacco, piqué au vif par des procédures qui manipulaient scandaleusement les faits et les personnes, et avant tout les témoins de la défense, italiens et anarchistes, pauvres gens s'exprimant difficilement, terrorisés par la répression qui s'abattait de toute manière contre eux, (arrestations de masse, déportations...), Nicola Sacco, exaspéré, par ailleurs, des procédures d'un juge, d'un procureur public, d'une preuve qui l'accusaient sans le dire explicitement d'avoir des opinions socialement dangereuses et parfaitement insupportables pour les Blancs bien nés, Nicola Sacco explosa à la toute fin des procédures, et devant un tribunal ahuri, un jury consterné, il prononça les paroles qui attestaient au vrai de l'inculpation, il extériorisa cette haine viscérale qu'il avait contre le «système» qui utilisait les hommes pour les tuer, indifféremment au travail ou à la guerre: 

« On fait la guerre pour les affaires, pour qu’on gagne des millions de dollars. Quel droit avons-nous de nous tuer les uns les autres ? J’ai travaillé pour un Irlandais, j’ai travaillé pour un Allemand, j’ai travaillé avec des Français et avec des gens de beaucoup d’autres peuples. J’aime ces gens-là comme j’aime ma femme et ceux de ma famille. Pourquoi est-ce que j’irais tuer ces hommes ? Qu’est-ce qu’ils m’ont fait ?… Je voudrais qu’on détruise tous ces canons. Voilà pourquoi je lutte avec les gouvernements socialistes, et pourquoi, dans mon idée, j’aime les socialistes. Et c’est pourquoi j’aime les gens qui veulent de l’instruction, et qu’on vive aussi bien qu’on peut. C’est tout. » Il aurait pu ajouter, et certainement le pensait-il: voilà de quoi vous m'accusez, très réellement, voilà de quoi je suis coupable, et de ça j'en fais l'aveu, publiquement, ici, devant vous tous, gens fortunés, gens de bien.

Nicola Sacco n'a jamais, jamais dit qu'il était innocent des actes criminels dont on l'accusait. Et il y a maintenant, à la vue de preuves nouvelles, d'expertises mieux faites et plus fiables que ce que l'on présentait au jury en 1921, des doutes, des soupçons fondés, qui expliquent, peut-être, le silence de Sacco, jusqu'à l'instant même qui a précédé son exécution. Bartolomeo Vanzetti, dont l'innocence ne faisait aucun doute, et que Sacco savait très certainement, n'allait jamais, à aucun moment, chercher à séparer son sort de celui de son compagnon.

De sorte que Sacco et Vanzetti ne sont peut-être pas que les victimes d'un capitalisme raciste et assassin, comme on l'a cru si longtemps. Ils sont peut-être, plutôt, des martyrs, deux travailleurs immigrants qui se sont sacrifiés volontairement pour une cause, l'anarchie, le socialisme, la liberté, et comme le disait Sacco, «l'amour, [l'amour très réel,] des gens» auxquels tous deux croyaient plus que tout. Cet effacement, s'il s'avère un jour, a davantage de sens, et même d'héroïsme, que le crime que l'on a prêté qu'au seul «système» contre des «innocents».

Source de la citation: Alain Decaux, C'était le XXe siècle, tome 1.