jeudi 26 avril 2012

IMPOSSIBLE RÉVOLUTION



Source: Photo - Le Devoir, Jacques Nadeau





Au point où en sont les choses politiques et sociales, au Québec ( crise majeure, je le spécifie pour mes amis lecteurs de l'étranger, provoquée par une très forte hausse des droits de scolarité, décidée et décrétée par le gouvernement du Québec, ) peut-être faudrait-il collectivement se rappeler quelques évidences incontournables.

1. Il n'y a pas, il ne peut pas y avoir de révolution au Québec. La jeunesse a beau être nombreuse dans les rues, et aller à la casse avec un entrain qui laisse le téléspectateur sidéré, cette jeunesse que j'aime, à qui j'ai enseigné ( génération après génération ) toute ma vie, est isolée sur la grande question, la question essentielle qu'est le partage équitable de la richesse, quel que soit le processus pour y arriver, par exemple au moyen d'une justice fiscale rigoureuse. La jeunesse est isolée: elle n'a pas d'alliés sociaux qui l'appuient dans ce qui pourrait devenir une authentique poussée révolutionnaire. Les travailleurs cols bleus ou cols blancs, la classe moyenne inférieure, les retraités appauvris, année après année, par des rentes qui deviennent  fragiles, ont souvent une empathie active sur Twitter pour la cause étudiante, mais certainement pas au point de provoquer une constellation de colères sociales, préalable à une authentique poussée révolutionnaire. La jeunesse elle-même est divisée sur la question du sens social à donner à son mouvement de contestation. La société québécoise n'est pas encore prête de changer là-dessus, tant s'en faut, et tranquille qu’elle est. Le patronat est solidaire, de tout temps, en toutes circonstances, sur ce sujet de l'ordre social, comme sur tous sujets d'ailleurs, avec le parti libéral du Québec, qui lui écarte la CLASSE parce que précisément, cette association étudiante prétend développer un projet social plus large que la cible unique de droits de scolarité accessibles au plus grand nombre. Quant à la police, elle fait son travail, « neutre », dit-elle, c'est-à-dire au service de l'État, qui lui est « bourgeois ». Ce ne sont pas là des considérations anciennes: c'est encore comme ça que les choses sont. 

Il faut dire ces évidences, même désagréables à entendre, parce que le mouvement étudiant se dirige tout droit vers un cul-de-sac. Ça me désole. La cause est juste. J'y crois. Mais privilégiant la voie radicale, de l'affrontement dans les rues, du discours ultra à la télé ( que j'admire, bon dieu, Gabriel Nadeau-Dubois est à proprement parler admirable, ) et n'entendant rien, du moins en apparence, des gens de bien, qui cherchent une solution, une médiation, un report de la hausse, une alternative de négociation multipartite qui puisse remplacer le choix décrété par l'État, le mouvement étudiant laisse se préparer une répression, brutale, sans appel, qui lui tombera dessus, lui fera tout perdre, capital de sympathie, et validité de la cause, alors qu'il tient bon, après dix semaines, ce qui est proprement stupéfiant. Étudiants, ne parlez plus au gouvernement, ignorez-le; parlez aux autres, à celles et ceux, nombreux, encore influents, qui ont de la sympathie bien réelle pour les principes que vous défendez. Il faut imposer votre point de vue au gouvernement par le biais d'intermédiaires qui seuls, peuvent sauvegarder l'essentiel de votre combat. Sinon, cela risque fort d'être une grève perdue. Et tout cela sera long, très long à reprendre, et à réparer. 

2. Il n'y a pas à douter que l'État, et le parti politique qui en dispose cherchent une voie de sortie, qui ne soit bénéfique que pour eux seuls. L’État ne peut songer, désormais, qu'à des moyens extrêmes pour mettre fin à la crise. Il y a des précédents, et ce serait là une erreur prodigieusement naïve que de penser que l'État ne considère pas ses pouvoirs de législateur. Je ne sais trop à quelle loi spéciale le gouvernement pourrait recourir, puisque la grève étudiante ne relève pas du Code du travail. Je ne sais pas davantage à quelle suspension de libertés civiles le parti libéral pourrait se laisser tenter. Mais si Monsieur René Lévesque lui-même a fini par approuver et cautionner la terrible Loi 111, en février 1983 ( loi condamnée d'abord par le Bureau international du travail, et par la suite par la Cour suprême du Canada, bien que dans ce dernier cas, la Cour ne se soit pas arrêtée au scandale social majeur qu'était la loi, mais plutôt à une formalité constitutionnelle, ) comment penser que Monsieur Charest aurait des scrupules, s'il estimait, lui, qu'il y avait urgence d’agir pour protéger les biens et la propriété ? Je ne suis rien, moi, ni vedette ni personne qui compte ( pas même sur Twitter ! ), je ne suis qu'un obscur professeur de cégep, comme on me l’a déjà dit, sourire en coin; et pourtant je supplie le gouvernement actuel de ne jamais, jamais franchir la ligne de l'interdit, de ne se laisser tenter par aucune mesure qui restreigne ou suspende les libertés civiles, et de laisser les mesures normales de justice suivre leurs cours — c'est le cas de le dire. Il faudrait, là-dessus, être nombreux, très nombreux à en appeler au gouvernement du Québec: il n'y a qu'un moyen, qu'un seul, pour l'amener à être raisonnable, et à discuter, y compris de ses ( mauvais ) choix politiques, et c'est de l'amener, d'avance, à renoncer à tout moyen législatif d'exception. J'appelle ( très humblement ! ) Monsieur Charest à faire une déclaration publique en ce sens. Il doit engager son gouvernement à l'encontre de ce risque, parce qu'en réaction à la violence de la rue, toutes les tentations sont possibles pour un gouvernement, et un parti, en désespoir de cause et de crédibilité.

Voilà.

Bonne chance aux étudiants, et à leurs leaders, qui ont ces jours-ci le dos large, mais les jambes solides. Ils sont beaux; ils sont admirables.







lundi 23 avril 2012

LE PRINTEMPS EN NOIR ET BLANC




Le temps était atroce, samedi soir, à l'Ile d'Orléans. Il nous tombait dessus de la pluie, de la neige, de la glace, le brouillard cachait tout, la grève était merdoie - une telle chose est d’évidence possible, et dans la brume épaisse, on ne distingue d'abord qu'elle. Québec, tout juste en face, était invisible. Un bateau, gigantesque, à l'ancre au milieu du fleuve, tournait rapidement sur lui-même.

C'était un soir d'avril exécrable, d'un printemps pourtant précoce et généreux. Les couleurs avaient étonnamment disparu, et c'est ce qui m'avait frappé, quand je suis arrivé chez un de mes grands amis, qui a la chance inouïe d'habiter la pointe extrême de l'île. À marée haute, sinistre, gonflée par la fonte récente de la neige, le spectacle de ce très mauvais temps était exceptionnel, imposant; si on prenait le temps de le contempler, on le voyait devenir réellement magnifique. J'ai filmé, photographié. Je voulais garder la preuve que le noir et blanc, dans la nature, existe bel et bien.







samedi 21 avril 2012

PERDRE LE NORD




Il y a de ces moments, bénis pour un historien, parfois malheureux pour ceux et celles qui en font l’expérience, et qui ont l’accablant mérite d’être une esquisse parfaitement exacte d’une société, un croquis féroce des rapports de force qui la caractérisent, des accointances qui, la plupart du temps, se masquent au regard du commun. Ces moments uniques, brefs instants où les masques tombent, s’apparentent souvent à l’heure de vérité du menteur, du tricheur ou même du malfrat, quand l’affaire est vraiment par trop scandaleuse, et désolante. L’instant, trop vrai, qui heurte, indigne, révolte, devient à jamais célèbre, parce qu’il dit tout de l’essentiel. Il reste cruellement visible au front, ou au c… de celui ou celle qui n’a pas su tenir le rôle consensuel, comme une marque au fer rouge, indélébile. 

Ça a été le cas, par exemple ( et pour ne s’en tenir qu’à l’histoire récente, ) de la fête au Fouquet’s, le soir même de l’élection présidentielle française de 2007, et qui disait avec cynisme - et inconscience - aux Français : hé bien voilà, on vous a bien eus, et on vous le dit tout net, c’est maintenant, et encore, notre tour à nous, grande bourgeoisie, banquiers, spéculateurs sur les armes et sur la misère, affairistes en tous genres, qui nous installons à l’Élysée. Il est des nôtres, Sarko. Il va essayer l’ouverture à gauche, pour mieux vous duper, mais en fait, ce qu’on rigole, nous, les puissants, les riches, les hommes de fric et de médailles, les profiteurs de tout ce que la vie a de cher et beau ! 

Les Français n’ont jamais oublié ce moment trop vrai. Ils risquent de le faire savoir dans quelques jours à peine, une raclée bien méritée.

Ça a été le cas, aussi, d’une bonne blague que W. ( Georges  Bush fils, vous rappelez-vous ? ), avait osé clairement articuler, devant le gratin des gens d’affaires, assemblés devant lui à Washington pour une fête annuelle. Ce que c’était beau ! Tous ces messieurs dames, complets foncés, rivières de pierreries, qui se sont esclaffés quand le Président leur a dit, cynique, un peu baveux : « Pensez ce que vous voulez de moi, mais n’empêche, si je tombe, vous tomberez avec moi vous aussi ! » La blague devait rester privée, dite entre gens bien élevées, qui se seraient tues par la suite. C’était sans compter ce salaud de Michael Moore, qui avait tout filmé de la scène ; elle est devenue un de ces moments beaucoup trop visibles, tellement exacts qu’ils en deviennent gênants. Tel quel, le Président élu supposément pour tout le monde lançait, en privé : on est tous du même club sélect, pas vrai, ce club de gens influents qui inventent des ennemis au bon peuple et le fanatisent, pour qu’il accepte de se costumer en soldats, visages masqués s’il le faut, et courir aux méchants, pendant qu’on rigole, nous, à s’en mettre plein les poches ! Il avait étudié en Histoire, W., pas étonnant qu’il sache comment les choses fonctionnent, et qu’il connaisse la formule exacte pour dire l’exactitude des rapports de force et tranquilliser les gras durs quant à leur avenir. 

Ce vendredi midi 20 avril, à Montréal, M. Jean Charest s’est permis une blague innocente de trop ; il a craqué, et fait un magistral faux pas en direction de la vérité ; peut-être a-t-il voulu avouer quelque chose, comme un cagoulard qui en a trop sur la conscience ; bref, il a créé un de ces moments historiques inoubliables, trop précis, parfaitement attestés, filmés en HD. Le premier ministre était au Palais des Congrès, où il s’était d’abord caché, dans un salon réservé aux V.I.P. , pendant 30 minutes ; quand il s’est cru sûr de sa personne, il s’est cru sûr de son attribution, sûr de son rôle historique, sûr de la fonction sociale qui est la sienne: et devant un auditoire d’hommes et de femmes d’affaires hilares, heureux de se retrouver, tous ensemble, dans la perspective alléchante d’une manne de fric à dévorer après déjeuner, M. Charest a fait de l’esprit : Le plan Nord ? Les étudiants défoncent les portes pour en être ; eh bien, on va leur en trouver des jobs, dans le Grand Nord, le plus loin possible. L’exil, quoi. L’oubli, dans notre petite Sibérie locale. C’était une image, bien sûr, mais ce faisant, il a dit tout net ce qu’il pensait des objectifs de la contestation étudiante et surtout, de ses leaders : des vauriens, des gens à proscrire, de la chienlit mal fagotée. Gens d’affaires, ils veulent notre fric ! Ils ne l’auront pas ! Qu’ils paient leurs droits de scolarité sans réchigner, sinon c’est le Nord ! M. Charest a dit tout haut ce qu’il pensait du conflit social qui perdure, et qu’il ne veut régler que par l’abandon d’une des parties au champ d’honneur – matraquée, gazée, blessée, horrifiée, plus en rage que jamais. M. Charest a dit tout haut, aussi, et clairement, ce qu’il conçoit comme une bonne façon de gouverner. Dehors ! Disparaissez de ma vue ! Allez traîner vos savates ailleurs ! Ce que c’est drôle, quand même, quand c’est dit entre gens qui savent s'y prendre pour bien prospérer !

J’ai rarement eu aussi honte. Et moi, plutôt tranquille, et qui ne veux plus voter, vraiment pas, je suis plus en colère que jamais. Le premier ministre rigole, et la société civile abandonne les étudiants à leur sort. Personne n’écoute les propositions de solutions, et pourtant, il y en a : celle de M. Castonguay m’a toujours semblé, à court terme, la plus raisonnable, la plus respectueuse – un report, d’au moins un an, de toute augmentation des droits de scolarité, et l’enclenchement rapide d’un processus de négociation collective cherchant l’accord à long terme, qui ne ruine pas, injustement, la jeune génération. ( Remarquez, je l'ai déjà écrit ici, je suis, moi, favorable à la gratuité complète. )

J'ai rarement eu aussi honte... Mais ce qui me rend fier, par contre, c’est que M. Gabriel Nadeau-Dubois étudie en Histoire. Il a donc, très certainement, lui aussi, compris parfaitement le sens de cette journée, qui restera, à jamais, historique.

P.-S. Aux trois leaders étudiants, chapeau : vous êtes remarquables de talent, de ténacité, de courage. Vous êtes la preuve vivante, s’il en fallait une, que notre système d’éducation fonctionne assez bien, merci, et qu’il donne de bons résultats, parfois même épatants. 







lundi 16 avril 2012

L'HISTOIRE PAR L'IMAGE


Source: http://www.histoire-image.org/index.php



L'affiche est de l'Action française, ( où militaient Maurice Barrès, Charles Mauras, Jacques Bainville, ) contre un gouvernement de gauche, élu en 1936, dirigé par un Juif, Léon Blum. Au même moment, en Allemagne, Hitler préparait la guerre, activement, depuis 1936, au moyen du rétablissement, parfaitement illégal en droit international de l'époque, du service militaire obligatoire, et laissait se développer une entreprise démentielle contre la communauté juive, peu sioniste en ce temps-là, allemande de fait et de coeur, à l'exemple d'Einstein, qui avait repris sa nationalité allemande en 1919 pour protester contre l'ignoble traité de Versailles...

La France est déchirée. La guerre menace. Faut-il la faire encore une fois contre l'Allemagne, qui répète qu'elle ne veut pas de la guerre, que ce sont les Juifs qui la veulent, qu'ils préméditent d'en faire une entreprise à la rentabilité énorme, gigantesque, plus encore que tout ce qu'ils possèdent déjà ? La droite se déchaîne contre ce gouvernement Blum, riche et juif, qui pousse [ si peu, pourtant ! ] à la guerre, au profit des Juifs, qui ne sont pas même Français. La participation française à l'holocauste se prépare... En France, une partie importante de la droite, déjà en 1937, admire le projet hitlérien et souhaite s'en rapprocher. Louis-Ferdinand Céline publie, en 1938, Bagatelle pour un massacre, long, très long pamphlet antisémite complètement délirant. Hitler est son « pote ». Il n'est pas le seul à le penser. La guerre éclate en 1939. La France s'écroule et s'humilie. Une partie importante de la droite fascisante saute sur l'occasion de la défaite, rencontre Hitler, le célèbre, prévient même ses exigences. La collaboration durera jusqu'en 1944.

Voilà tout ce qui s'annonce, et se comprend après coup, dans cette terrible affiche de l'Action française de 1937. L'aveuglement coûtera 50 millions de morts au monde, et à la France, quatre années d'une terrible Occupation. Elle en garde encore des séquelles. Et à tout prendre, la droite française de l'époque n'a que peu payé de ses errements.

Pourquoi je raconte tout ça ? En fait, pour faire la promo, parfaitement gratuite, d'un site historique superbe, précis, rigoureusement documenté, qui se se regarde et se lit comme un roman feuilleton passionnant: 1789-1945, l'Histoire par l'image. C'est là que j'ai trouvé l'affiche de 1937. J'ai passé des heures sur le site. Il y a encore à visiter. C'est du beau travail, un bel exemple de ce que le réseau Internet peut faire pour agrémenter la diffusion du savoir, sans renoncer à la science.

Jetez y un oeil, vous ne regretterez pas. C'est de l'histoire telle qu'elle se fait maintenant, globale, populaire, sans sacrifier aux idoles.





samedi 14 avril 2012

QUAND LE QUÉBEC DONNE DES LEÇONS DE DÉMOCRATIE


Photo-montage personnel



Nous connaissons aujourd’hui, 17 ans après les faits, le projet de constitution que le Québec pensait se donner dans l’hypothèse d’une victoire souverainiste au référendum d’octobre 1995. 

Passionnant. Exemplaire. Je sais bien, d’avance, que, dans certains milieux, on ne lui accordera aucun crédit. Et pourtant, le profil de société que le gouvernement de M. Parizeau dessinait, et projetait, par cette constitution, était éminemment démocratique, en rien revanchard, reconnaissant plutôt des droits collectifs qui ont été systématiquement refusés au Québec depuis 1834, l’année des Quatre-Vingt-Douze Résolutions. Cette constitution, ne serait-ce que par la forme républicaine de gouvernement qu’elle propose, surpasse et de beaucoup le bienfait constitutionnel octroyé par M. Trudeau en 1982 – véritable coup de force contre le Québec. Là-dessus, d’ailleurs, quand, je vous le demande, mais quand le Québec a-t-il pu engager librement, et surtout réussir, une négociation constitutionnelle qui fixe son statut sans un intermédiaire impérieux qui le contraigne ? Et pourtant, le projet du gouvernement du Québec, en 1995, garantit ce droit collectif de négociation à la communauté anglophone, et aux peuples indiens du Québec, préalable absolu à tout changement constitutionnel qui pourrait les concerner. Demandez donc à M. Mulcair, tiens, s’il est d’accord pour reconnaître une garantie constitutionnelle de ce genre pour le Québec d’aujourd’hui… Le projet de 1995, voilà qui est incomparable, irréprochable. Sur les questions essentielles, il ne peut s’amender en tordant le bras des récalcitrants. Pas question, ici, de quelque chose s’apparentant à la formule constitutionnelle canadienne dite du « 7/50 », qui permet si facilement d’isoler le Québec, et de lui imposer ce dont il ne veut pas, qu’il signe ou qu’il ne signe pas.

J’ai résumé, dans un quasi mot pour mot, et pour qu’on sache le plus possible, le projet constitutionnel du Québec de 1995. Dans ses grandes lignes, voici ce que ça donne :

Le peuple québécois est souverain. L’État souverain du Québec est laïc, pacifiste, démocratique et d’expression française. L’État du Québec est une république parlementaire. La séparation des pouvoirs et le droit d’appel constituent des garanties démocratiques et constitutionnelles prépondérantes du Québec. Les valeurs fondamentales du Québec sont la liberté, la tolérance, la solidarité, la responsabilité, l’égalité des chances et la coopération entre les peuples. Les droits de la personne de tous les citoyens du Québec constituent la règle d’interprétation première de la Constitution du Québec. La communauté anglophone a le droit de préserver, de maintenir et de faire progresser son identité et ses institutions. Elle a droit à sa langue dans les institutions publiques, les services scolaires et de santé. Rien de ce qui la concerne ne peut être modifié sans son accord. Il en va de même des nations autochtones, qui sont des peuples ayant des droits souverains sur leurs terres, en prolongation de leurs droits ancestraux, et  des anciens traités les concernant ; ces nations ont le droit  de tenir un référendum et de négocier avec le Gouvernement du Québec : les ententes d’autonomie gouvernementale qui en découlent sont constitutionnalisées. Le Gouvernement est responsable de la sécurité publique et des relations internationales. L’Assemblée nationale seule décide des questions relatives à la guerre et à la paix.

Il s’en trouvera encore pour répéter que, faute de s’être révolutionné pour acquérir ses droits, le peuple du Québec demeure profondément ignorant, et peu fiable quant à ses convictions démocratiques. Il s’en trouvera encore pour parler du Parizeau xénophobe. Et pourtant, c’est le Québec qui, le premier, s’est doté d’une Charte des droits et libertés supra législative. C’est lui qui a donné l’exemple en matière de financement des partis politiques, et du système démocratique lui-même, en assurant aux partis reconnus une part de financement public. Ce néanmoins, il nous faut toujours démontrer aux autres que nous sommes capables de respecter les individus, les groupes, les communautés, les droits et les libertés de chacun. Ça en devient, souvent, exaspérant.

Par ailleurs, et pour terminer, comment expliquer que des documents historiques d’une pareille importance soient restés inconnus depuis si longtemps ?

Source: Paul Journet:






PASOLINI, ARTISTE PEINTRE



Pier Paolo Pasolini, Autoportrait, 1946



Je ne savais rien jusqu'à cette nuit, du talent de peintre de Pasolini. J'ai découvert cette toile par hasard, authentiquement par hasard. Et même si je n'avais rien su de l'identité de l'artiste, j'aurais quand même ressenti avec force l'intense beauté de cette toile. Un peintre majeur l'a-t-il seulement vue ? Quelqu'un a-t-il dit à Pasolini qu'il était un peintre véritable, à part l'immense cinéaste qu'il va devenir par la suite ?

La toile est belle, et ressemble étonnamment à Pasolini lui-même: l'autoportrait est très certainement narcissique. Il y a de quoi ! Pasolini serait de nos jours une figure emblématique de la beauté masculine. Regardez cette toile, attentivement; c'est du talent; mais c'est aussi l'absolue certitude que le personnage va séduire, que la jeunesse va s'y reconnaître et ira à sa recherche - un des  propos majeurs de la vie et de l'oeuvre de l'artiste et de l'homme homosexuel. Il y a déjà, dans la forme même de cette toile, l'immense culture de Pasolini, un peu cubiste quand même, un peu Cocteau aussi, pourtant extraordinairement italienne, qui plonge ses racines culturelles jusqu'à la Renaissance, et même jusqu'à l'héritage grec qui a tant fait pour créer « l'Italie ».

Cette toile m'émeut, me séduit. Comme l'ont fait Oedipe-Roi, et Théorème, surtout, qui m'ont bouleversé à vie. Ces deux films restent encore pour moi des références essentielles sur « ce » qui m'a « fait ». Théorème, en particulier, a éveillé des souvenirs, des inquiétudes, une passion amoureuse que l'adolescent que j'étais ne pouvait pas encore comprendre. Sur le coup, j'en ai eu la nausée. Et dire que c'était un copain catholique ultra qui m'avait amené voir ce film ! Lui y a vu l'incarnation de Dieu; j'y ai vu la sexualité, et l'atroce douleur qu'est la privation d'un désir furtif et disparu, interdit et condamné, quand il se donne pourtant et se retire, qu'il désoriente et qu'il tue. J'avais, je crois, pas même 16 ans quand j'ai vu Théorème. Je n'ai jamais oublié. Je l'ai revu. Et j'ai su que ce film parlait de moi.



vendredi 13 avril 2012

Takashi Murakami à Versailles, ou l'Art du blogueur pour ne rien comprendre


Photo: Cédric Delsaux


Drôle de rencontre, entre ce qui était destiné à être vu, admiré, par un observateur sans état d'âme, si ce n'est de ressentir le plaisir d'être là, et l'étonnement devant la magnificence d'un pouvoir dont la grandeur se réservait à la vue d'une élite de voyeurs, qui seule fréquentait la Galerie des Glaces; drôle de rencontre entre le château baroque de Versailles et une oeuvre d'art populaire, japonaise de forme et de culture, mais foncièrement américanisée, populiste, presque infantile, tant elle tient de Warhol et du pop-art, certes, mais aussi de la bande dessinée, et de la folie éclatée de l'art contemporain - du n'importe quoi mis en grosse boule. Je ne suis pas critique d'art - loin de là ! J'aime beaucoup Keith Haring, dont j'ai parlé sur ce blogue il y a quelques jours à peine. L'oeuvre de Haring est éminemment personnelle; elle est torturée; elle fait un effort pathétique pour être joyeuse. C'est un discours sans fin sur ce qui fascine Haring, et le tue. Je ne saurais dire si l'ouvre de Takashi Murakami, présentée fastueusement à Versailles, en 2010, a les mêmes qualités intimes. L'artiste a-t-il ressenti quelque chose, dites donc, en faisant son collage ? J'entends déjà ceux qui me crieront après, pour dénoncer mon ignorance, mon incapacité à rompre avec les formes anciennes de l'art... Il y aurait du vrai là-dedans: j'aime Bach plus que tout. Et il m'arrive de penser ( en silence ! ) que l'art contemporain est ( souvent ! ) une vaste rigolade, qui ridiculise le bourgeois, gros cochon comme chacun sait... N'empêche: que l'oeuvre de Murakami soit présentée en grande pompe, dans Versailles, tient de l'illumination délirante, peut-être géniale, peut-être canaille. Je ne sais trop. Je ne suis pas ( je le répète ) critique d'art. Il m'arrive de ne rien comprendre. Quoiqu'il me semble parfaitement comprendre que ce genre d'exposition, dans un lieu pareil, illustre à quel point l'art moderne est en fait un art d'élite, coûteux, essentiellement prétentieux. La photo est belle, c'est elle en fait qui me touche et me séduit. L'objet d'art provoque. Je suis tout près d'être scandalisé ! C'est pourquoi Alcib me conseillerait probablement, comme il l'a fait dans un commentaire pour l'Impératrice, de ne pas tomber dans le piège, et de n'en rien dire. 






jeudi 12 avril 2012

LA CERTITUDE TRANQUILLE DE L’OPPRESSEUR






Le journal The Gazette a publié le 6 avril dernier, une lettre aux lecteurs, d’une jeune Montréalaise, qui fait le récit moralisateur au possible d’un désagrément linguistique qu'elle aurait vécu, avec la tranquille suffisance d’une supériorité supposée de civilisation, depuis longtemps bien établie dans le Québec anglo. 
L’affaire, telle que racontée, serait désolante de bêtise, si seulement elle était vraie. Mais voilà, on peut raisonnablement en douter. Et autant vous le dire tout de suite, je n’en crois rien, pas un mot de ce que raconte la jeune dame. Lisez la lettre, si ça vous chante : les faits rapportés – imaginaires -  sont sans témoin ; il n’y a pas l’ombre d’un petit fait vérifiable, rien de ce qui s’appelle une preuve solide, qu’un procureur de la Couronne pourrait, triomphant, présenter au Tribunal. Rien ! Jury, il faudrait nous rabattre sur le doute raisonnable. The Gazette, jamais, de toute évidence, ne s’est crue dans l’obligation éthique d’élever quelques doutes sérieux sur la crédibilité de la preuve telle que produite pour l’édification de ses lecteurs. Quelle importance ? Cette lettre est une longue affabulation, un chapelet d’inventions, imaginés tels qu’on veut y croire, les lire et les entendre, dans la communauté anglophone de Montréal. Elle est dans le ton de ce qui prolonge, encore de nos jours, le racisme tranquille du conquérant de naguère, tel qu’il s’est forgé progressivement au 19e siècle : l’Anglais tout puissant, fier de la force de ses armes et de l’empire de ses lois, ahuri devant ce peuple étrange, les Canayens, sans histoire et sans culture, lousy French sans éducation, qui s’obstinaient à exister malgré tout, probablement trop bornés qu’ils étaient pour cesser d’être unilingues, ce qui, et de loin, restait leur principal moyen de survie. Hélas, cela se faisait au détriment des valeurs évidemment indétrônables – c’est le cas de le dire ! - de la civilisation anglaise, ce qui faisait dire, il y a peu, vous en souvenez-vous, à la représentante de la Reine, Mme Lise Thibault, que la Conquête, oui, avait été un événement heureux, tristement gâché par des esprits petits, repliés sur eux-mêmes, consanguins, sans connaissance réelle de ce qu’est l’humanisme. Les Canayens sont restés prisonniers de leur hideuse nature, crasseusement ignorants, tous couchés dans le même lit.
C’est ce qu’il en est de cette dame, l’accusée, chauffeuse d’autobus de son état, unilingue, incapable d’échanger correctement avec des touristes qui eux n’imaginent pas que dans un autre pays, on puisse se buter sur une langue étrangère. En Italie, en Allemagne, en Russie, on parle anglais, c’est bien connu, on en veut pour preuve la quasi totalité des films américains. Mais là n’est pas vraiment le problème ; le problème, c’est que la dame chauffeuse d’autobus se révèle brutalement raciste, méchante, tout juste hitlérienne ; sous sa discrète moustache, elle respire mal, elle maugrée, elle ronchonne contre ces maudits Anglais qui n’ont rien à faire icitte ! La jeune fille qui nous raconte tout ça est bien élevée : c’est donc hypocritement qu’elle se rapproche, qu’elle écoute l’air de rien ce que l’affreuse mégère raconte pour elle-même. Elle est édifiée, dit-elle, alors qu’elle était toute seule, vous imaginez, dans cet autobus d’Auschwitz ! Le crime était grave, mais la jeune femme n’a pas porté plainte, que non ; et pas parce qu’elle est bonne et généreuse, et qu’elle a le pardon facile ; non ; elle n’a pas porté plainte parce qu’elle était pressée ! C’est vrai, oui, oui c’est vrai, dit-elle, que j’étais dégoûtée, que j’avais perdu confiance dans le genre humain – surtout celui qui conduit le bus, le matin ! – et que j’étais démoralisée. Je suis une Anglo-Montréalaise née sur place, et tiens, pour vous prouver ma bonne foi, il m’arrive, pas trop souvent, mais il m’arrive, quand même, de vanter, comme M. Justin Trudeau, les meilleurs aspects de la politique du gouvernement et de la société québécoise. Mais quand j’ai affaire à une curiosité hideuse comme cette dégoûtante chauffeuse, confit-elle encore, je me précipite pour aider de pauvres gens, surtout s’ils sont de vieux touristes, terrorisés, largués comme des chiens sur le trottoir, entre deux arrêts !
Résumons-nous pour y voir vraiment clair :
1.  « One morning last week » : quand exactement ? On ne sait pas.
2.  « the 80 bus » : le numéro du bus ? Le numéro de sa plaque ? L’heure exacte ? On ne sait pas.
3.  Tout le monde a quitté le bus, sauf la jeune fille et le vieux couple sympa, dont on ne sait rien, de leur pays d’origine, de leur âge approximatif, de leur identité, même sommaire ; il n’y a aucun témoin à la scène qui va se jouer. On sait quand même que les deux vieux comprennent le mot « Non », indice peut-être précieux.
4.  Le témoin principal, l’auteure de la lettre, n’a pris en note ni le nom, ni le numéro d’employée de la société de transport. « You are lucky », lui a-t-elle lancé, courageuse et digne, depuis les marches du bus, en sortant.
Où est la preuve indéniable là-dedans ? Pourquoi devrait-on croire  cet invraisemblable récit ? Lisez donc la lettre, tiens, même si vous savez déjà tout. J’ai un peu caricaturé, à peine. Mais je vous avertis : c’est écrit en anglais !
Even if we disagree, let’s keep the discourse civil

BY MEAGAN BREMNER, le 6 avril 2012.
© Copyright (c) The Montreal Gazette
« One morning last week, I was on my way to work on the 80 bus, heading south on Parc Ave. When the bus arrived at the Place des Arts métro, the driver announced in French that the bus stop at Ste. Catherine St. was out of service temporarily, and that if anyone would like to get off at Ste. Catherine, they should instead get off at the métro.
Everyone except an elderly couple and I got off the bus. I was continuing past Ste. Catherine anyway. The bus continued down Bleury, and when it got to a red light at Ste. Catherine, the elderly couple (who looked like tourists) wanted to get off. They asked the driver (in English) to let them off; she said “Non.” They asked why, and she answered them in French, which they did not understand. She tried to tell them again, in French, and in a very rude tone. She was clearly angry that they didn’t understand. They were not rude to her at all; they were just confused, and they looked very uncomfortable.
I approached the woman and explained that the driver had said at the last stop to get off because the Ste. Catherine stop was out of service. The woman said, “OK, but I don’t speak French.” She had an accent and I could tell that she was not from Montreal. They were indeed tourists.
The driver relented and let the couple off halfway between the Ste. Catherine stop and the next one, at René Lévesque Blvd.
Now it was just me and the driver, and the bus continued on its way. I stayed near the front of the bus since I was getting off at the next stop anyway. As I stood there, I could here the driver mumbling under her breath. I listened closer and was shocked to realize that she was swearing and using slurs against anglophones. She was saying that they have no business here.
As I got off the bus, I couldn’t help myself. I told her in French, since I am bilingual, that those people were tourists and didn’t understand why she was being rude to them. She told me she did not think they were tourists and that, either way, they should speak French, that it was not her problem if they didn’t. I told her that the tourism industry in Montreal is a huge part of the economy, that the tourists cannot all be expected to speak French, and that Montreal needs them to feed the economy. She told me that she didn’t care because English has no place in Montreal and, again, it wasn’t her problem. I told her she was lucky I was in a rush to get to work because, if I weren’t, I would be getting her employee number to make a complaint. She told me to get off her bus right now – which I did, since I was already at my stop.
I am writing this because I have been fuming. I still cannot believe the ignorance. The bus driver is a person working in the public sector. She can have all the opinions she wants, but it is inappropriate and very unprofessional for her to state those opinions while at work in front of customers.
I am not upset about the fact that she could not speak any English. (I do, however, think that someone driving a bus in downtown Montreal – where there are many tourists, students and residents who speak English – probably should speak enough English to at least announce that the next stop is closed.) But I am disgusted with the fact that she was rude to an old couple (who were tourists!), swore under her breath about anglophones, and then proceeded to pretty much tell me (a born and raised Montrealer) that English has no place in Montreal.
I cannot even imagine what my employers would do if I made comments like that to our customers. It was disgusting and disheartening.
I am an anglophone Montrealer. I took the time and effort needed to learn to speak French. I work in a bilingual job and I speak to francophone customers daily. I love it here. I feel that a lot of the rest of the country could benefit by taking a look at a lot of Quebec’s government policies and culture.
I don’t see how being born to a family that speaks English makes me any less of a Montrealer than the driver on the bus that morning. For her to state that English has no place in Montreal was ignorant, rude and uncalled-for. »
Et maintenant, soyons francs, entre nous on le peut bien sans trop risquer, et disons-nous les choses telles qu’elles sont, tel qu’elles ne cessent d’être.
L’immense majorité des Québécois francophones n’a jamais, jamais cette présupposée intolérance linguistique frisant le racisme qu’invente Mme Bremner dans son article de presse. Jamais. La vérité, c’est que les Québécois souffrent d’être francophones, se flattent d’être bilingues, et souhaitent, dans le meilleur de leur fantasme, être comme les Anglais, être des Anglais. Rarement ont-ils cette fierté agressive qu’ont leurs compatriotes anglophones à défendre leur langue, et là-dessus, tout le monde sait que la Charte de la langue française visait d’abord et avant tout à leur apprendre la fierté de parler librement la langue qui est la leur, qui cause de ce qu’ils sont, et de leur compréhension commune du monde et de leur histoire. Les Québécois francophones ont encore, de nos jours, honte de leur langue, qu’ils jugent à peine suffisante ; ils sont invariablement blessés quand un Français les taquine sur leur vieil accent du 17e siècle. Ils préfèrent parler anglais, dès qu’un Anglais se retrouve parmi eux, au travail, entre amis, moins gênés qu’ils sont d’avoir un accent en anglais qu’en français. Ils admirent Messieurs Trudeau, père et fils, parfaits bilingues. Ils ont rapidement déchanté de Mme Marois, baragouinant à peine quelques mots d’anglais. Ils oublient leur histoire, surtout si elle sollicite leur prise de conscience et leur engagement. Ils oublient Papineau, Parent, Buies, Asselin, le magnifique Asselin, tiens, soldat, journaliste, d’une intégrité parfaite, écrivain magnifique, acéré, d’une audace exemplaire. Henri Bourassa n’est plus qu’un boulevard, Lionel Groulx qu’une station de métro – Lionel Groulx, dont les francophones ont honte, d’ailleurs, quand on leur rappelle, souvent en anglais, qu’il n’aimait pas les Juifs. Les Québécois ont peur de ceux et de celles d’entre eux qui les bousculent un peu. Ils aiment René Lévesque parce qu’il est mort. Ils aimeront Jacques Parizeau quand il en aura fait autant. Mais ils se font une gloire de Céline, qui chante aux « États », en anglais, elle qui trouverait « épouvantable » l’indépendance du Québec. Les Québécois forment tous ensemble un peuple tranquille, un peu lâche, qui n’a jamais compris pourquoi il a survécu si longtemps, dans des conditions si difficiles, si ce n’est qu’ils n’a jamais plus voulu faire la guerre, jamais, après 1763. Les Québécois ont survécu, mais accepté leur défaite. Ils détestent la chicane. Ils détestent revendiquer. Ils se leurrent de n’importe qui, de M. Mulcair, par un exemple très actuel. La jeune génération ne veut plus de ces combats linguistiques - ni moi non plus. Elle veut être moderne, blanche, presque invisible, disparue dans le grand tout. Elle accueille l’immigration à bras ouverts, c’est flagrant, et c’est tant mieux, dans les salles de cours. Elle parle anglais dans les corridors, les ascenseurs, la cafétéria, partout. Elle rêve de Montagnes Rocheuses. Elle se dit de gauche, souvent pour le glamour de la chose.
Les Québécois ne méritent en aucune manière le mépris que Mme Bremner distille sur eux – en fait sur une chauffeuse d’autobus, prise comme symbole dans une histoire inventée, destinée à entretenir les illusions, le juste droit, et le fanatisme haineux d’un certain public. On l’admirera pour cela. Quant à moi, je l’admire déjà. Dieu sauve Mme Bremner.




jeudi 5 avril 2012

KEITH HARING


Keith Haring: l'artiste et l'oeuvre



Il y a en ce moment à New York, au Brooklyn Museum, une exposition consacrée à Keith Haring, trente ans exactement après la première galerie new-yorkaise qui l'a rendu célèbre - qui a reconnu le talent exceptionnel du jeune homme qui crayonnait dans le métro, et qui gravait sur les dalles des rues de l'East Village.

Haring est un artiste populaire, et un graphiste éminemment américain. Mais s'il n'a pas rompu avec l'héritage artistique laissé par le pop-art, il s'est radicalement dégagé d'Andy Wahrol, dont il reste un des rares, de sa génération, je pense, à ne pas avoir copié ce qui était à la mode, ce qui s'était imposé chez les acheteurs/collectionneurs, et dans les revues branchées de l'époque. Il y a un style Haring, immédiatement reconnaissable. Haring voulait la notoriété; il voulait être identifié, et populaire;  il voulait vendre, et vivre de son art. Il s'entremêlait étroitement à son travail. D'où le collage, modeste, que je présente ici, de l'artiste, de quelques-unes de ses oeuvres, dont, au centre, la plus célèbre de toutes, le Bébé rayonnant, dont il avait fait sa griffe.

J'ai appris à aimer Haring. Peu pour les concessions qu'il a faites au patriotisme américain, malgré le racisme, la discrimination sexuelle, et la pauvreté qu'il a dénoncés comme il l'a pu. Ce qui me touche, chez Haring, ce sont les thèmes d'extrême détresse qui sont partout, récurrents, dans son oeuvre. L'amour est fêté, c'est vrai, mais les corps sont aussi défoncés, les coeurs arrachés; il y a un loup qui désire et s'attaque à des corps d'enfants, et menace leur vie; des grands se ferment les yeux, le nez, la bouche, ne souhaitent se rendre compte de rien; l'amnésie s'installe, devient sociale, les têtes sont crayonnées, vides et transparentes, elles disparaissent, absorbées les unes les autres, fusionnées, aliénées... 

Je me trompe peut-être. Les spécialistes parlent plutôt de l'influence, énorme, qu'aurait eue la bande dessinée dans l'oeuvre de Keith Haring. Mais son oeuvre a trop de couleurs ( comme l'autre, tiens, à qui on aurait dit qu'il y avait trop de notes dans sa musique, ) pour tromper; pour faire croire à une conscience simple, espérant tout de la vie. Haring était inquiet, torturé, morbide. Il colorait violemment sa pulsion de mort. Pas étonnant, je pense, et sans sombrer dans le fatalisme, qu'il ait contracté le sida, et qu'il en soit rapidement décédé. C'était en 1990. Il n'avait que 31 ans, éblouissant météore.

Il vit encore. Il vit toujours. Ce gars-là, je l'aime.




mercredi 4 avril 2012

L'IMPÉRATRICE


Photo: Milo Keller et Julian Gallico



Extraordinaire photographie, qui m'a renversé, quand je l'ai vue et qu'elle m'a saisi, aujourd'hui. Sur Internet, et même sur le ( très beau ) site de l'atelier de design hors classe XJC, la photo n'est jamais déroulée complètement. Pour la trouver dans son intégralité, il m'a fallu fouiller dans le répertoire proposé par les Wallpaper Case Studies, une application spécifique à l'iPad. Depuis, je la regarde, encore et encore, je l'investis. Je suis fasciné, estomaqué, un peu choqué, parfaitement ébloui. Cette oeuvre d'art est d'une beauté à couper le souffle. Et pourtant, il y a là-dedans tout ce que je déteste: le glamour, l'ensoleillement des riches, la suffisance, l'autorité, le mépris, et surtout, le corps vieilli, dénié, décoré comme s'il avait encore vingt ans...

Mais quel talent, de photographe, de couturier, de bijoutier, et même d'actrice; une insolence écœurante dans la création; une étonnante culture historique, aussi: encore que pas vraiment surprenante, quand on sait que l'entreprise, qui a voulu souligner de manière spectaculaire son 10e anniversaire de vie, a embauché un ancien du groupe Benetton - Brice Compagnon. C'est lui, semble-t-il, qui a conçu les bijoux, qui a choisi les modèles, qui a inspiré la plastique de l'exhibition anniversaire de l'Atelier. C'est l'arrogance  des nouveaux riches sans noblesse, et de leurs fortunes colossales qui scandalisent; c'est l'éloge absolu du pouvoir de l'esthétique, tel qu'Elizabeth 1ère, plus shakespearienne que jamais, n'aurait pu jamais le rêver; c'est la revanche des femmes modernes qui s'emparent des atours androgynes des Sforza, et qui décapitent le souvenir même de Louis XIV...

Cette photo me heurte et m'épate: c'est du grand art. Elle va durer. 

Et puis, question de goût, j'imagine.